Issue des deux cultures orientale et latine, je me questionne beaucoup quant à mon identité et mes valeurs.  Qui suis-je vraiment ? Mosquée ou Cathédrale ? Orientale ou occidentale ? Piliers ou flèche ? Lunaire ou solaire ? Nomade ou sédentaire ?

Cette interrogation provoque en moi la confusion et me plonge dans des migraines récurrentes. Et plus je cherche une réponse claire, plus je doute.

Je pourrais me raccrocher plus spécialement à l’une ou l’autre de mes deux cultures. Mais à laquelle ? Et à quels dépends de l’autre ? Plus je cherche la clarté, plus le doute s’installe, et plus cela m’est douloureux. …

Je suis plusieurs, je suis multiple. Libre et légitime enfantement de mes propres amours ibériques, romaines, wisigothes, omeyades, byzantines, gothiques, renaissances ou encore baroques. Deux mille ans d’amours et de désamours, ça donne le vertige. De nobles fondations, je suis cordouane.

Je suis plusieurs, je suis multiple. Tant de courtisans bienveillants. Mais tant de jalousies, tant de guerres, tant de blessures inutiles. Tant de guerriers, tant de califes, tant de prêtres qui chacun revendiquent le droit à inscrire son nom aux arcades de mon identité. Et tant de choses encore que la bienséance ne dira jamais. Mon chœur en frissonne, mes colonnes en tremblent.

Je suis plusieurs, je suis multiple. Je suis l’insaisissable visage de Dieu au féminin. Priée, louée, courtisée, admirée. Convoitée, combattue, défendue. Commentée, visitée, honorée. Restaurée, maquillée, photographiée. Arabe et espagnole, orientale et occidentale, musulmane et chrétienne, municipale et religieuse.

 

Je suis plusieurs, je suis multiple. De siècle en siècle, mes saintes origines m’inspirent et me grandissent. Un jour elles m’inventent mosquée, un jour elles m’illuminent cathédrale. Demain comme hier, je soumettrai mes divins amants au terrible défi du « libre ensemble ». Car ce n’est que dans l’éternité des flux et des reflux de la Vie que j’accomplirai ma mission.


Je suis plusieurs, je suis multiple. Hors du temps, mon regard porte bien plus loin que le Guadalquivir, bien plus loin que le bassin méditerranéen. Il est déjà dans l’au-delà. Je suis la Mezquita-Cathédrale, l’incarnation prophétique de l’Une-Manité, l’Humanité non-duelle.

 

André Weill / 31 décembre 2010