"FAIS DE TA VIE UN REVE ET D'UN REVE, UNE REALITE"
Antoine de Saint Exupéry

PASSEUR D'ESPOIR ET DE PAIX
Pèlerinage de Genève à Cordoue,

4000 km à pied du 19.9.2013 au 12.4.2014


par Jean-François Duchosal
edit AW

 Définition du pèlerin : Marcher par monts et par vaux vers un but sacré ou symbolique. (expl : Saint-Jacques de Compostelle, Jérusalem, Rome). Ma démarche est spirituelle au sens large sans être limitée à une religion.

1. Mes motivations :
- La foi
en l'homme, la foi en Dieu créateur et Amour, la confiance en soi.
- Marcher, avec plaisir, de village en village et aller à la rencontre de l'autre, de le comprendre et de l'accepter avec ses traditions, sa religion et ses choix de vie.
- Etablir un pont, un trait d'union avec les pays du sud actuellement en souffrance.
- Prendre le temps d'admirer les beautés de la nature.
- Apprécier ce temps de réflexion profonde sur sa vie, sa famille et ses amis.
- Rencontrer les communautés religieuses (Musulmans, Juifs, Chrétiens) et laïques dans un esprit d'ouverture et de partage selon les buts de notre association Compostelle-Cordoue.
- Eprouver un sentiment de totale liberté tout en maintenant une discipline personnelle stricte.

2. Mes pèlerinages (15.500 km à pied depuis 2001).
-  2001 : Genève - Saint-Jacques de Compostelle (Finistère)
-  2006 Genève - Saint-Jacques de Compostelle (Finistère)
-  2007 : Genève - Jérusalem (Emmaüs)
-  2009 : Genève - Lisieux - Mont Saint-Michel
-  2010 : Saint-Jacques de Compostelle - Mérida - Cordoue (voie de la Plata).
-  2012 : Genève - Arles (rives du Rhône, la voie d'Arles)
-  2013/2014 : Genève - Cordoue.

 

3. Itinéraire complet de mon dernier pèlerinage de Genève à Cordoue.

- Suiise et France Grand-Saconnex /Genève, côte suisse et française du lac Léman, Saint-Gingolph,
  Abbaye de Saint-Maurice/VS, (via Francigena) Col du Grand-Saint-Bernard (alt. 2.600 m)
- Italie : Vallée d'Aoste, Ivrea, Santhia, Pavia, Placenza, Fidenza, Marina di Massa, Lucca, Sienne, Perugia, Assise, Todi, Viterbo, Rome, Latina, Terracina, Naples, Ferry pour   Palerme et Tunis.

Tunisie : Tunis, (visite de Kairouan), rencontre avec deux amis marcheurs au long cours  (André et Matthieu), Bizerte, Tabarka et la frontière algérienne où je dois quitter mes camarades et rentrer à Genève par avion pour établir mon visa que j'ai finalement obtenu après 8 mois d'attente. Retour en avion pour rejoindre mes amis à Alger.

-  Algérie: Alger, Boufarik, Blida, Médéa, Tibérine, Khemis-Miliana, Chlef, Relizane,  Mostaganem, Oran, Sidi-Bel-Abbès, Tlemcen, Maghnia, (frontière avec le Maroc fermée  depuis 20 ans) Ghazaouet, bateau pour Alméria (Espagne) et retour sur Nador, Oujda,  Ain-Sfa, Berkane, Zaïo, Nador, (visite de Fez), Aazanen, Cap Ras-Tarf, Al Hoceima, El   Jebha, Dar Miter, Ben Amed, Oued-Laou, Tetouan, Tanger, Ceuta (enclave espagnole).

 - Espagne: Algéciras, Castellar de la Frontera, Los Angeles, Algatocin, Ronda, Cuevas de Becerro, Osuna, Ecija, La Carlota, Cordoba.

4. Pourquoi Cordoue comme but du pèlerinage ?
Pour l'esprit de cette ville,
cité de fraternité, de dialogue et de réconciliation par delà les différences.  C'est à partir de la lecture du livre de Gabrielle Nanchen, personnalité politique suisse et fondatrice de notre association Compostelle-Cordoue dont les buts sont : le pas vers l'autre, le partage, la rencontre, la réconciliation. Cette voie du vivre ensemble préconisée déjà à l'époque par des philosophes comme Averroès, Maimonide et d'autres. C'est dans cet état d'esprit que j'avais, avec d'autres, marché de Saint-Jacques de Compostelle à Cordoue en  2010 du nord au sud sur un chemin de Paix.

5. Moments forts et impressions par pays

- Départ de Genève, tout quitter et retrouver le chemin déjà emprunté en 2007 sur la route de  Jérusalem en passant par la côte française du lac Léman jusqu'à Saint-Gingolph.

 

- Abbaye de Saint-Maurice, point de passage de la Via Francigena, voie suivie en l'an 990 par l'archevêque Sigéric, de Canterbury à Rome. J'ai suivi ce chemin avec un détour pour  aller à Assise depuis la région de Sienne.
- Le Valais, Martigny et le passage du Col du Grand-Saint-Bernard (2600 m) . Un effort physique dense et une nuit de récupération à l'Hospice avant la descente sur l'Italie.

- l'Italie :

Vallée d'Aoste, le Piémont, la plaine du Pô, la Lombardie, l'Emilie Romagne, la  Toscane, l'Ombrie, la Latium, la Campanie. Des régions magnifiques dans un pays en crise politico-économique comme d'autres pays d'Europe. Cette situation difficile n'empêche absolument pas un sens de l'accueil chaleureux dans un état d'esprit bien latin. Assise, cette  ville est deux fois belle, par sa situation géographique et par le fabuleux message de Saint- François d'Assise. Un lieu à ne pas rater dans sa vie. Rome, l'arrivée dans cette ville des  7 collines par la Via Triomphalis (voie triomphale), sur la place Saint-Pierre est un moment inoubliable. Après 1500 klm de marche, un mélange de fatigue et d'intense émotion vous arrachent des larmes. C'est dimanche et le Pape François apparaît à sa fenêtre. Le mercredi, il salue les pèlerins et devant environ 50.000 personnes, il adresse un message de Paix et d'Espoir d'une chaleur humaine, d'une clarté et d'une simplicité exemplaires.

 

Ce Pape, proche des gens, est tout simplement rayonnant avec la volonté de faire changer les choses. Une visite chez les gardes suisses s'impose et je dépose un peu de terre suisse qui se trouve à l'intérieur de mon "bourdon" dans la cour d'honneur en présence du Commandant. Après  Assise et Rome, deux objectifs importants sont atteints. Je continue vers le sud par la côte et  découvre Naples, ville attachante par son côté très populaire. J'en profite pour visiter Pompéi et faire l'ascension du Vésuve sous la neige (décembre). Je prends conscience à ce moment, que j'ai réalisé les trois pèlerinages chrétien, Saint-Jacques-de-Compostelle, Jérusalem et  Rome mais cela ne suffit pas. Il reste le trait d'union avec le sud de la Méditerranée, auquel je tiens absolument en prenant le ferry pour aller à Tunis.

- La Tunisie :
Après le printemps arabe, ce pays tente de sortir de la crise en entamant un long processus vers la démocratie. Un jeune chômeur me disait qu`il pensait que la démocratie était comme un "coup de foudre" alors que c'est bien le contraire et ça prendra beaucoup, beaucoup de temps. Il y a de nombreux jeunes chômeurs, le risque est qu'ils pourraient se laisser tenter par l'intégrisme religieux. Il semble que ce pays évolué, se dirige vers un gouvernement modéré et c'est une bonne chose. Le tourisme est vital et doit absolument reprendre. Déçue par la "révolution», une partie de la population exprime ouvertement sa nostalgie pour l'ancien gouvernement.

En mettant le pied sur sol tunisien, j'ai d'emblée ressenti les valeurs humaines de l'Afrique et de l'Islam : l'accueil, le sens de l'hospitalité, la générosité et le respect de l'Ancien. Je vois encore cet homme rencontré sur le chemin qui nous a accueillis et hébergés chez lui entouré par sa grande famille. Quelle belle soirée j'ai passé avec mes deux camarades, marcheurs au long cours, que j'avais rejoints à Tunis. Belle rencontre avec l'évêque de  Tunis, un homme remarquable. Après une visite à Kairouan et sa mosquée, nous poursuivons notre marche vers Bizerte, Tabarka et la frontière avec l'Algérie. Mes amis ont continué sans moi, car je n'avais toujours pas de visa après 8 mois d'attente. Résultat, je dois rentrer à Genève pour obtenir enfin mon visa, grâce à l'intervention d'un ami algérien installé à Genève, pour repartir retrouver Matthieu et André à Alger et continuer notre périple.

- l'Algérie :

 Dans ce grand pays, pourtant fermé, nous avons rencontré une générosité exceptionnelle. Je me souviens de cet épicier qui a quitté son magasin en courant pour m'apporté un jus de fruit (geste impensable dans mon pays). Ce peuple est resté authentique avec une citoyenneté très marquée, j'avais fait le même constat lorsque j'avais traversé la Syrie en 2007. Pour l'instant, le tourisme est inexistant, le pays n'en a pas besoin. Les caisses de l'Etat sont remplies par les revenus du gaz et du pétrole. Un algérien me disait "Le pays avance mais la société recule". Les jeunes doivent reprendre confiance, rester au pays, créer des entreprises et surtout cultiver cette terre très riche, le potentiel est impressionnant. (Voir un article paru dans le journal national El Watan du 9.2.2014). Les grands projets de construction, main d'œuvre comprise, sont en main chinoise et c'est une solution de facilité, c'est bien dommage. Le pays a été secoué et les esprits marqués par les années noires (env 150.000 morts dans les années 90). La police est partout. La situation sécuritaire est maintenant sous contrôle mais les craintes sont toujours là. Il n'était pas question de camper, choisir ses hébergements ou son itinéraire. Nous avons été contrôlés, surveillés et escortés 24h/24h pour notre sécurité disaient-ils. Ces moyens nous ont parus lourds et démesurés mais nous ne sommes pas dans leur situation. Je dois reconnaître que ces forces de police avaient à notre égard un comportement exemplaire. Ils ont accompli leur mission avec sérieux, courtoisie et disponibilité.

En observant le comportement des algériens à l'égard de mes amis français, j'ai constaté que les rapports avec la France sont très bons. Entre les deux pays, il existe de très nombreux liens familiaux qui ne pourront jamais s'effacer.  La situation écologique, qui ne représente pas une priorité politique, est catastrophique. Les rivières sont polluées, une faune pratiquement inexistante. Le gouvernement actuel devra bien un jour prendre ce problème sérieusement en main. Un moment très fort au monastère de Thibhirin, lieu de l'enlèvement et de l'assassinat de 7 moines dans la nuit du 26 au 27 mars 1996. (voir le film "Des Hommes et des Dieux"). L'émotion est intense lorsque le frère Patrick, intendant actuel, nous relate le déroulement de ce drame terrible et inexpliqué, qui a frappé cette communauté qui rayonnait dans toute une région par le bien qu'elle apportait à toute une population sans distinction religieuse.

 L'assassinat de ces moines, hommes de bien, apparaît comme une profonde injustice. Lors de la visite, nous avons croisé un groupe d'étudiants musulmans avec leurs professeurs. Nous avons rapidement sympathisé et chanté ensemble. Un beau moment de détente où la joie a fait place à une profonde tristesse

 

Au village, un homme musulman nous expliquait comment Frère Luc, médecin, avait soigné et sauvé sa mère atteinte d'une grave maladie. Il avait les larmes aux yeux. Ce monastère, selon le voeux du frère prieur Christian de Chergé, reste un lieu de vie et non un musée. A l'époque, le frère prieur avait prévu sa mort et avait écrit un document remarquable dans lequel il précisait ne pas vouloir être considéré comme un martyr mais simplement comme un des nombreux morts algériens. C'est la vie qui continue.

 Nous avons eu de belles rencontres avec la population, notamment avec la communauté des Soufis, cette confrérie de musulmans modérés avec qui nous avons eu des contacts passionnants. Les communautés de la minorité chrétienne font un travail remarquable par un simple rayonnement d'hommes de bien parmi la population de toutes tendances. Nous avons fait ce constat à Mostaganem et dans d'autres villes. Par exemple à Oran, nous avons été reçus dans une famille musulmane où le fils a récité un passage de la Bible et la fille a chanté un passage du Coran. Quel Espoir et quelle belle démonstration du vivre ensemble, selon l'idée de l'association Compostelle-Cordoue. Cela fait du bien au cœur et à l'âme du pèlerin.

 

- Le Maroc:
La frontière avec l'Algérie est fermée depuis plus de 20 ans suite aux évènements avec le  Sahara occidental. Cette séparation entre deux pays frères nous paraît impensable au 21ème siècle mais dans notre position de pèlerin, nous devons accepter cette situation.  L'impossibilité de passer la frontière à la hauteur de Maghnia nous a obligés de rejoindre la côte à Ghazaouet, prendre le bateau pour Alméria (Espagne) et retour vers le Maroc à Oujda,  Nador et la côte marocaine. Nous sentons comme un vent de liberté. Plus d'escorte de police, plus d'itinéraires et d'hébergements imposés et enfin la possibilité de camper en pleine nature. Le pays nous paraît bien organisé, propre, le tourisme est en hausse, les infrastructures sont bonnes. Par rapport à l'Algérie que nous venons de quitter, l'accueil est bon mais différent.

La population est habituée à voir des étrangers, des touristes et le contact est moins spontané, moins chaleureux. Nous traversons la merveilleuse région du Rif entre mer et montagne. Cette population pauvre et rebelle cultive des milliers d'hectares de cannabis à partir desquels on produit le haschich marocain exporté dans le monde entier. Les gens fument et proposent du "kif" tout naturellement. Par la côte, nous arrivons à Tétouan et Tanger où nous rendons visite à la communauté musulmane Soufis qui nous réserve un accueil très convivial. Je suis toujours frappé par l'esprit de tolérance et d'ouverture de cette confrérie. A Ceuta (enclave espagnole) avant la traversée en bateau vers Algeciras, nous profitons pour remplacer le Cay (thé) par des tapas et du bon vin. Ca commence à "sentir l'écurie" au moment où nous prenons le ferry même si le chemin est encore long jusqu'à Cordoue.

 

- L' Espagne :
Arrivée sur sol espagnol où l'émotion est grande en regagnant la "vieille Europe" après ce long périple à pied au sud de la Méditerranée. Bienvenue en Espagne, ce pays attachant que je commence à bien connaître, suite à mes pèlerinages précédents et qui traverse une crise, comme d'autres pays d'Europe avec un taux de chômage d'env. 25 %. Je visite une église, la première depuis longtemps avant de retrouver le paysage verdoyant d'un début de printemps. Sur le chemin de Ronda, la campagne est belle avec ses champs de blé à perte de vue. Quelle joie d'écouter le chant des oiseaux, du coucou et d'apprécier l'envol des perdrix, la course du lapin ou l'élégance des cigognes perchées sur les toits. Une faune très riche que nous n'avions plus l'habitude de voir. Je réalise que l'objectif, qui consistait à établir un trait d'union entre le nord et le sud, est maintenant atteint et que la boucle sera bouclée lorsque j'arriverai à Cordoue.  Après Ronda la belle, citée de la tauromachie, nous entamons les dernières étapes et c'est  L’arrivée à Cordoue avec Mathieu mon camarade de marche. L'arrivée, après 4000 klm de marche par le pont romain et la Mezquita, est inoubliable. Un mélange de sentiments nous envahit avec une joie intérieure immense d'avoir accompli, à la grâce de Dieu, un si bel acte de foi, ce pas vers l'autre tant souhaité et en même temps, un peu de tristesse d'avoir terminé cette démarche exceptionnelle. Devoir et mission accomplis.


Cette cité a une âme et un style particulier. L'esprit de Cordoue n'est pas un vain mot, depuis les messages des philosophes comme Averroès, Maimonide, Ibn Arabi et Alphonse X, le Sage. Un sentiment de conciliation entre les différentes croyances a toujours régné dans cette ville d'Andalousie. Je ne pouvais pas rêver mieux pour terminer ce pèlerinage. Nous avons assisté aux processions de la Semaine Sainte. Ces processions de confréries sont grandioses. Toutes les familles viennent y assister avec beaucoup de ferveur dans une ambiance bon enfant et sans aucune agressivité. Visite de la ville avec André, vice-président de notre association Compostelle-Cordoue, qui nous a rejoints. Nous avons donné une conférence à la Tour de la Calahorra organisée par Margarita, vice-Présidente de la Fondation Paradigma. Retour au pays. Mission accomplie.

  

6.Conclusions :
- Nous avons vécu une expérience humaine exceptionnelle qui ouvre l'esprit et renforce l'âme
- En faisant un pas, puis deux…Vers l'autre et le mieux vivre ensemble, nous avons essayé avec humilité d'être des Passeurs d'Espoir en apportant "une goutte d'eau" pour la Paix, dans l'esprit de notre Association Compostelle-Cordoue. J'espère que chaque pays, sans intervention extérieure, trouvera la solution pour lutter contre la montée du djihadisme-terrorisme qui touche le Moyen Orient.
- Nous avons vécu de beaux moments de rencontre et de partage avec la population.
- Malgré quelques problèmes physiques (maladie, douleurs articulaire, tendinite, côte fracturée, etc..) qui font partie du pèlerinage, le moral était toujours excellent.
- Etant plutôt un pèlerin solitaire, la marche en groupe m'a demandé un effort particulier.
  Devoir pratiquer le compromis 24/24 pour effacer les différences (motivation, comportements, cadence de marche, organisation, etc...) n'est pas facile à gérer mais reste une bonne expérience au final.
- Le retour est mêlé de joie intérieure avec un brin de tristesse de fin de parcours et au fond de soi l'envie de repartir.
- Lorsque l'on a connu des pays en souffrance, il faut relativiser les "grands problèmes" de son pays privilégié.
- Merci à mon épouse, mes amis, mes associations caritatives de m'avoir accompagné et soutenu durant mon pèlerinage.
- Merci Matthieu et André d'avoir été mes frères de marche durant une partie du parcours

décembre 2014 Jean-François Duchosal