Après la première nuit passé à Alger à l’hôtel Molière dans l’ancienne rue Sadi Carnot fort modeste puisqu’il ne disposait ni de chauffage ni d’eau chaude, nous nous sommes installés à la mission Diocésaine Caritas sur les hauteurs d’Alger, dans le quartier Hydra, jouxtant l’ambassade du Brésil. Bien accueilli par la sœur Rita.
Dans cette demeure qui sert de lieu d’accueil et de séminaire des Chrétiens nous y avons revu un père rencontré à Constantine, deux de Tizi Ouzou, deux de Tibhérine, deux archevêque dont celui d’Alger qui a bien voulu signer ma crédentiale qui me sert de point de repère des endroits traversés
depuis mon premier départ de Paris autour de la méditerranée. Dans cet endroit nous avons pu nettoyer nos affaires et également nous acheminer dans cette magnifique ville qu’est Alger en attendant notre nouveau pèlerin Jean-François qui avait dû nous quitter à la frontière Tunisienne.
Nous avons pu avancer dans nos obligations vis-à-vis de vous tous ; celle de vous envoyer des nouvelles. J’ai été confronté à l’impossibilité de vous envoyer les photos qui servent à illustrer mes messages, en temps et en heure du fait des caprices de Google drive qui bien que gratuit n’en est pas moins facétieux. Au moins avec cet engin on apprend vite à être créatif et à trouver des solutions, même si elles sont malheureusement tardives.
Traverser Alger est un vrai plaisir que nous avons pu également partager avec Jean-François arrivé avec un étrange bagage qui ressemblait fort à un tableau de chasse digne d’Astérix et Obélix attirant bien entendu les regards et peut être les suspicions des plus inquiets. Globalement nous avons pu partager la visite des quartiers de la Kasbah et de Bab el oued en passant par les beaux quartiers de l’ancienne rue Michelet et cette merveille de copie d’art mauresque et assez déroutante qu’est la grande poste d’Alger.
Nous avons pu également nous initier par voie de procuration à retrouver une demeure du passé avec en plus les commentaires de la famille par les gens du quartier qui n’ont rien oublié et sont aussi capables de citer toute une partie de la généalogie de la famille Sanchez qui, vous vous en doutez, nous a un peu échappé, étant seulement d’humbles messagers. Croyez en, c’est assez nouveau de devenir sans le vouloir un de ces nostalgiques découvreurs d’un passé oublié qui reste à mon grand étonnement vivace.
Le soir nous avons pu fêter avec tous les honneurs et sans retenue nos retrouvailles du chemin en suivant un chemin d’un restaurant peu indiqué mais comblé, qui nous a servi un excellent vin Algérien « La cuvée du Président ».
Et puis le moment de retrouvailles passées, nous avons repris tous ensemble la marche en direction de Boufarik. Nous nous sommes étonnés que la présence de nos amis de la sécurité, nous avait un peu oubliés, mais c’était trop nous avancer et nous avons pu leur présenter Jean-François, le lendemain en arrivant à Blida. Depuis nous ne nous quittons plus, et toutes les facettes ont pu être montrées progressivement à notre camarade. Les petits verts, les petits bleus, les patrouilles de motards, véhicule blindé, avec leurs cortèges de demandes de renseignements, qui nous a fait hésiter à photocopier des fiches types en diffusion qui bien qu’elles peuvent s’avérer efficaces en gain de temps, n’en sont pas très cordiales pour communiquer avec nos amis de la sécurité.
Avant l’arrivée à Blida, nous nous sommes étonnés de la fertilité et la protubérance de cette magnifique plaine, fruits du travail des hommes, de leur lutte pour son assèchement. Bien qu’étant en plein cœur de l’hiver, agrumes, fleurs et toutes sortes de légumes frais abondent. Les offrandes affluent de toutes parts, mais nous avons dû malheureusement pour son généreux donateur nous abstenir d’accueillir un magnifique choux fleur dans nos besaces déjà bien remplies. Nous avons longé en deux jours près de 8 km de divers casernements, qui indépendamment de leur rôle n’offrent pas pour le plaisir des yeux du marcheur un intérêt très soutenu.
Et puis nous avons été interviewés par deux journalistes d’El Watan qui nous fait l’honneur de leurs colonnes
Nous avons gagné les hauteurs de la vallée encaissée du Chrea haut lieu des maquis djihadistes lors « des années noires », qui en font actuellement une zone très surveillée par les forces Algériennes. Cette présence est visible et l’on peut voir sur le terrain, une alternance de points de passage et de pitons fortifiés sur les hauteurs.
Je vous engage tous à cet effet de lire le livre de Yasmina Khadra -A quoi rêvent les loups 1999- pour une meilleure compréhension qui illustre cette période trop souvent ignorée par nous et qui a très fortement endeuillé l’Algérie et est encore vécue aujourd’hui comme un véritable traumatisme dont les plaies demeurent encore vivaces dans de nombreuses régions de ce pays qui nous est si proche.
Au cours de notre ascension nous avons rencontré des colonies de magnifiques singes qui se laissent photographier sans réserves Pour après nous aussi nous faire photographier à notre tour par une jeune équipe féminine de football très sympathique, pour notre plus grand plaisir.
Et puis les derniers efforts, notre arrivée à Médéa située sur une hauteur interminable au terme d’une étape de près de 35 km toujours très encadrée par notre équipe de sécurité.
Le lendemain avant de gagner Tibherine, nous nous sommes arrêtés chez un tailleur qui a réparé les dégâts dus à l’usure du temps à divers équipements portants tels que sac à dos, sacs ventral, et puis : surprise nous avons dans cette humble atelier de couture été confrontés à des personnes qui ont bien connu les moines du monastère en particulier Frère Luc le médecin communément connu dans toute la région comme « Frilou ». Ces premières rencontres nous ont tous tenaillé d’émotions qui se sont exprimés de manière très émotionnelle, nervosité, plaisanterie, silence etc. Aucun de nous en montant au village proche du monastère n’en a été épargné.
A quelques pas avant notre arrivée nous avons été attendus en haut d’une côte par Patrick ancien curé de Saint Denis, qui nous attendait et qui nous a ouvert les lieux. Chacun avait en l’esprit les scènes « des hommes et des Dieux » qui bien que n’ayant pas été tournées en ce lieu en conservait l’esprit qui nous tenaillait.
D’abord la porte d’entrée, une magnifique introduction qui mettait en évidence le désir de son ancien prieur Christian de Chergé de ne pas considérer ce lieu comme un lieu saint, mais de le rendre vivant en mémoire au lien qui unissait tous les frères avec l’Algérie qu’ils ont tant aimé. Nous avons pu lors de notre visite nous imprégner : les pièces de vie, la chambre de Luc, le sriptorium lieu où se réunissaient les moines pour prendre des décisions, prendre connaissance des nouvelles, et aussi, la salle à manger, le cloître …
Et puis Patrick nous a informé qu’un car de visiteurs se joindrait à nous, principalement des jeunes venant d’Alger avec leurs accompagnateurs. Dans un premier temps l’arrivée massive de jeunes très vivants, je pense a pu tous les trois nous gêner un peu. Une femme voilée en noir et gantée nous a aussi surpris. Il nous a aussi fallu composer avec plus de mouvements, de bruits, d’excitations. … Et puis après la visite de la chapelle les visages se sont empreints de gravité lorsque nous sommes descendus dans le petit cimetière près d’une jolie pièce d’eau et de magnifiques cipres comme des gardiens bienveillants devant la présence de la dépouille des moines assassinés. Ils s’appellent : frère Christian, frère Luc, frère Christophe, frère Célestin, frère Bruno, frère Michel, Frère Paul.
Le temps était clair mais très froid, la visite s’est continuée dans une pièce qui réunissait quelques objets, comme la plaque des heures de visite et les instruments de frère Luc, et puis au mur le testament de Christian de Chergé le prieur de Tibherine a été lu par un accompagnateur qui a fortement ému l’ensemble du groupe de musulmans, et là nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas uniquement un lieu de mémoire mais un lieu vivant qui appartenait à tous.
Je voudrais vous faire lire quelques extraits du testament du père Christian de Chergé, Prieur du monastère de Tibhirine mort en 1996 à 59 ans.
S’il m’arrivait – et ça pourrait être aujourd’hui- d’être victime du terrorisme qui semble englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon église, ma famille, se souviennent que ma vie était donnée à dieu et à ce pays….
Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes, laissées dans l’indifférence et l’anonymat.
Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus.
Je ne vois pas, en effet comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre. C’est trop cher payer ce que l’on appellera peut être « la grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quelqu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’Islam…
Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.
L’Algérie et l’Islam, pour moi c’est autre chose c’est un corps et une âme…
S’il plait à Dieu plonger mon regard dans celui du père pour contempler avec lui ses enfants de l’Islam tels qu’ils les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de sa passion, investis par le don de l’esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences…
Dans ce merci où tout est dit, désormais de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père et des leurs, centuple accordé comme il était promis !...
Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’auras pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi je le veux ce merci et cet –A Dieu- envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis s’il pait à Dieu, notre père à tous les deux.
Amen ! Inch’Allah
Alger 1er Décembre 1993, Thibirine, 1er janvier 1994
Nous avons compris que la présence de ces jeunes Algériens était ce qu’avait fortement désiré offrir les moines et leur présence si vivante et qui marque un magnifique espoir de vie et de paix.
L’amour de la population tout autour du monastère vis-à-vis des moines allant jusqu’à Médéa rend cet évènement dramatique encore plus insupportable aux yeux de nous tous… Les moines par leur engagement, les soins et les attentions apportées constamment à la population n’ont jamais fait de distinction entre les différentes parties de cette guerre civile, qu’ils dénommaient avec affection « les frères de la montagne et les frères de la plaine »…
Et puis l’atmosphère s’est réchauffée, nous avons été leurs invités les rires fusaient de toutes parts, on a fêté un anniversaire au son de l’harmonica de Patrick. La femmes voilée qui nous avions baptisé dans un premier temps « Belphégor » s’est révélée extrêmement sympathique et chaleureuse et a su nous conquérir tous les trois.
Le soir après leur départ nous avons pu boire un peu de Champagne des deux quarts apporté par Jean-François à la santé de tous, des moines, des jeunes, des vivants de Tibhérine, à la vraie vie.
Nous avons eu la surprise de savoir que le père de choc Patrick avait eu l’occasion non seulement de sauter en parachute, de faire de la plongée sous-marine, mais était aussi rentré dans une cage aux lions pour jouer le rôle de dompteur. Ce genre d’évènements ne s’invente pas. « bravo l’artiste »
Nous avons passé deux jours magnifiques dans ce lieu magique qui appartient maintenant à l’Algérie tout entière et à son histoire. Nous nous sommes promis que nous y reviendrons et essaierons de nous rendre utile…, allez y tous
Bzzz à tous
PS Les photos suivront Inch Alla