Clôture et bilan du colloque de Saint-Maurice les 2 et 3 juin 2014
par Jean-Claude Basset
L'un des intérêts que j'ai trouvés dans ces deux jours de rencontre est le souci de chaque participante
de parler en « je » ; je commencerai donc par préciser d'où je parle : pasteur de l'Eglise protestante
de Genève, je suis enraciné dans un courant spécifique du christianisme avec un long engagement
dans la voie du dialogue interreligieux, nourri de solides accointances avec l'islam et le Moyen-
Orient.
Il est trop tôt à mes yeux pour parler de bilan à propos de l'expérience très riche – humainement,
culturellement et spirituellement – que nous venons de vivre ; pour cela, j'aurai besoin d'un temps
de respiration et de décantation ; je me propose plus modestement de partager quelques pistes de
réflexion, en fait sept :
1- Dans le témoignage de nos amis libanais, j'ai été frappé par le prix de la recherche de la paix et le
courage que requiert l'effort de lucidité et de retour sur soi pour sortir des ornières, toutes tracées,
des conflits inter-communautaires.
2- Des contributions scientifiques très éclairantes qui ont ouvert des voies d'interaction avec la
construction de la paix, je retiens la nécessité d'une préparation fondée sur une méthodologie avérée
ainsi que le défi de l'incomplétude, qui fait de l'incertitude une chance dans l'existence humaine :
véritable révolution copernicienne pour nos héritages religieux fondés sur la certitude affirmée.
3- Du film de Laurence Deonna et du projet de congrès féminin en Algérie, je retiens le rôle
incontournable du pôle féminin et, concrètement, la place des femmes que la grande majorité des
religions ont reléguées au second rang.
4- De l'expérience du cercle des vertus et des qualités – je ne suis pas encore au clair sur le sens à
donner à ces mots –, je retiens l'égale distance de chacun-e vis-à-vis d'un centre que personne
n'occupe, ce qui favorise l'écoute et la sincérité des prises de parole, à l'encontre du principe
d'autorité et des hiérarchies qui demeurent la règle de nos organisations religieuses.
5- La marche de ce matin m'a conforté dans l'idée que toute religion est fondamentalement une voie
à parcourir plutôt qu'un système clos ; l'effort requis par les très nombreuses marches d'escalier
(485, me dit-on) m'a renvoyé à la tension entre l'enracinement religieux qui implique le poids d'une
tradition (avec ses richesses et ses travers) et la quête spirituelle qui permet de choisir ce qui nous
convient à un moment donné.
Cela m'amène à une double perspective :
6- Une conversion des religions fondées sur la primauté de l'être et le recours à la logique du tiers
exclu alors que des traditions asiatiques privilégient le devenir et une logique de la complémentarité
tel le yin-yang ; contre la tentation de l'exclusion, le vivre ensemble implique une valorisation de la
diversité, jusque dans la contradiction, source de dépassement.
7- Une réorientation du dialogue interreligieux caractérisé, pour faire court, par trop de paroles et
pas assez de partage ; réorientation dans le sens d'un approfondissement dans la dimension
intérieure, avec une place faite au silence, et réorientation dans l'engagement et l'action, en ce qui
nous concerne ici en faveur de la paix.
Une paix dont je garde la double image qui est ressortie de nos échanges : la paix à semer pour la
faire germer et la paix à construire pour l'habiter. C'est avec cette tension non résolue, propre à
susciter imagination et engagement, que je repartirai de St-Maurice.