De retour d’Asie, je mesure combien cette partie du monde mériterait d’être prise en considération dans notre association qui se veut interculturelle, spirituelle et marchante.
Les représentations du Bouddha ont depuis longtemps envahi nos salons, nos boudoirs et nos jardins. La quiétude qui s’en dégage, le rappel à la sérénité et au retour en soi sont bienvenus dans notre civilisation d’agités, même si son exploitation kitsch-business peut exaspérer avec parfois sa petite pompe à eau, son lotus en plastique et ses diodes multicolores…
Beaucoup moins connue est la représentation du Bouddha marchant. Ce n’est pas une interprétation libre d’un sculpteur facétieux. Les différentes attitudes contemplatives du maître sont bien répertoriées, plusieurs temples les rappellent, reliant chacune à un jour de la semaine ; mais la découverte du Bouddha marchant, dans les ruines de la forteresse de Sukhothaï fut comme une révélation pour l’apprenti pèlerin que je suis. Cette synthèse du mouvement et de la grâce sont uniques à ma connaissance.
Il y a cette verticalité puissante et parfaitement centrée (s’avance-t-il avec les yeux fermés ?) et il y a ce déplacement vers l’avant qui nous gêne : personne ne se pose en face du Bouddha, comme s’il fallait le laisser passer, alors qu’on s’installerait très volontiers en face d’un Bouddha assis. Est-ce vraiment une statue ? observez le pli de la robe et la flexion du pied : la progression semble inexorable, fluide et sûre, c’est une représentation du mouvement perpétuel.
Ce n’est pas une marche passive. Le maître enseigne, transmet ou offre quelque-chose. On tendrait presque l’oreille pour capter le message qui accompagne sa main dressée vers l’avant. Un geste très apaisant. Contrairement à nos religions qui misent beaucoup sur le texte et le discours, aucun mot de viendra encombrer ma réflexion, mais si je laisse mon cœur recevoir l’émanation de sa main, le langage universel se passe de commentaires.
Ainsi donc le maître marchait et il n’en faisait pas une banalité. La marche fut source de contemplation et même d’illumination parmi plusieurs sages bouddhistes. Les vertus de la marche sont dûment décrites et il existe une méditation d’accompagnement de la marche. Alors que nous n’en retenons que l’aspect utilitaire, la marche est l’objet de contemplation, de méditation et d’enseignement sur ces terres lointaines. En dehors des ruines, nous avons retrouvé un temple en activité, entouré d’eau et accessible par un petit pont de bois qui sanctifie non seulement la marche, mais qui dresse un autel au pas du Bouddha ! Le sommet du temple contient une représentation géante de la trace du saint homme sur laquelle les fidèles viennent déposer des offrandes et jeter des pièces de monnaie.
En plus de la trace de pas, l’importance du pied ne fait aucun doute lorsqu’on découvre le gigantesque Bouddha couché Wat Pho à Bangkok. Une fois passé l’impression de petitesse devant la statue, on découvre la partie la plus finement ciselée, ornée de centaines de représentations de nacres : la plante des pieds du Bouddha :
Voilà qui laisse songeur et qui va marquer mon esprit lors de la prochaine balade. Allez, c’est le moment d’éteindre l’écran et d’aller déplacer mon corps dans l’espace en jouant avec la gravité par un enchaînement de déséquilibres vers l’avant compensés par une récupération du poids sur la jambe qui s’avance (alternativement la droite et la gauche, ne pas oublier !), puis une petite flexion du genou accompagnée d’une traction sur la hanche permet de reporter le haut du corps vers l’avant pour créer une nouvelle situation de déséquilibre, qui , si tout se passe bien, conclut le cycle d’un mouvement extraordinaire que l’on nomme communément : un pas.
Alors, ça marche ?
Dom Chappot
Janvier 2013