Marches, dialogues, rencontres : six jours de fraternité des coeurs en Suisse centrale, de Rueli Ranft à Berne, du 28 au 31 mai 2014

Dans son village natal d'Algérie, toute petite, elle portait sur sa tête une jarre d'eau qu'elle ramenait   à la maison pour les besoins domestiques. Des jarres de plus en plus volumineuses, de plus en plus lourdes, pour montrer qu'elle était forte, la plus forte de toutes. Pour s'affirmer, pour jouer, pour rendre service. Plus tard elle le paya cher d'un méchant mal de dos. Une histoire murmurée à mon oreille par une jeune algérienne, comme des dizaine d'autres récits, que nous nous racontions en marchant. Histoires de vie qui viennent de partout, d'Afrique, d'Europe, mêlées de croyances, d'expériences, de références culturelles, toutes si précieuses parce qu'elles singularisent les êtres, nous rendant attachants les uns pour les autres. Des liens s'établissent, qui relient nos profondeurs, nous ouvrent à une communauté fraternelle, préfiguration du mieux vivre ensemble, comme le dira le libanais Samir Frangier quelques jours plus tard aux Rencontres de St Maurice.

L'eau c'est la vie, source de bien être et de spiritualité. Porter sur soi pour les autres, c'est le premier geste, encore enfant, qui construit notre dignité. Dans notre marche d'une semaine[2] de Rüli Ranft à Berne, c'est d'un message de paix dont nous étions porteurs, trente et un marcheurs et marcheuses membres des associations Aisa suisse et Compostelle-Cordoue. Ce sont nos amis soufis qui ont eu l'initiative de marcher ranft (2)en mémoire de Nicolas de Flüe, homme de paix s'il en est, figure emblématique d'une Suisse réconciliée par les vertus du silence qui habitait cet homme reclus mais si profondément ouvert sur le monde. [3] Notre message, formulé par le cheikh Khaled Bentounes, fut transmis le samedi 31 mai en l'Eglise française de Berne, au délégué du président de la Confédération, Monsieur Didier Burkhalter, lors d'une cérémonie émouvante, à laquelle s'est joint un groupe d'une dizaine de libanais et libanaises maronites de l'association Reconstruire ensemble. Messagers nous l'avons été pleinement, pieds, coeur, esprit, parcourant sur le tracé du Chemin de St Jacques, collines, lacs, villages, villes, forêts, alpages, parfois sous une fine pluie, parfois dans le froid vif des soirées en altitude, parfois sous un soleil radieux, touchés par la beauté et le calme exceptionnels de ces contrées et la gentillesse de ses habitants. Marcher engage l'être corporellement mais ouvre aussi insensiblement les coeurs et élève l'esprit. Jamais, je ne me suis, quant à moi, autant rapproché de la spiritualité musulmane, par les échanges spontanés entre marcheurs, par les chants et les louanges du matin. Mystère de notre unicité fondamentale que l'actualité des guerres et du terrorisme dans le monde nous empêchent de considérer avec discernement et espérance. Tout ne fut pas harmonieux bien sûr : des malentendus, liés le plus souvent à des différences culturelles héritières lointaines de rapports conflictuels entre l'Orient et l'Occident, ont parfois obscurci l'entente entre les marcheurs et leurs guides. C'est pourquoi nos marches se terminent toujours par un cercle de dialogue, organisé selon un rituel précis, qui permet à l'expérience vécue par chacun de se donner à connaître et à reconnaître. Paix et pardon sont ici partagés. Par ailleurs, une équipe de cinéastes français fort sympathiques et engagés nous ayant bénévolement accompagnés (au risque de leur peau sur des chemins parfois glissants et pentus !), notre marche symbolique d'une fraternité inter-religieuse et interculturelle déjà présente, proposera prochainement sur internet une esquisse en image de notre étonnant périple. A suivre donc ...

Alain Simonin

ranft (4)