L'originalité de Compostelle-Cordoue est de proposer des activités comprenant trois temps : marcher, dialoguer, réfléchir. Son but : créer des conditions favorables à l’entre-connaissance de personnes d'origines, situations et cultures différentes. Ceux qui les pratiquent approfondissent leur quête spirituelle personnelle en impliquant la tête, le coeur et les jambes. Compostelle et Cordoue sont pour l’association des références spirituelles symboliques, n’impliquant pas d’engagement religieux. Compostelle représente l'homme debout qui se met en marche. Cordoue symbolise la convivance (convivencia), le vivre ensemble.
Compostelle, le tombeau d’un apôtre, des chemins, les aventures des pèlerins : soleil sur la Meseta, merveilleuses rencontres, chaleur de l’hospitalité, petits miracles du chemin et émotions … Ancienne députée suisse, très engagée pour la parité homme-femme et la solidarité nord-sud, Gabrielle Nanchen a été pèlerine en 2001. Elle est rentrée indignée par la découverte de saint Jacques Matamore. Ce qualificatif vient des mots espagnols matar, tuer et Moros, les Maures. L’apôtre évangélisateur, pourfendant les Maures du haut de son cheval blanc ! Image inacceptable. Elle écrit :
« J'ai compris que ce n'était pas uniquement la ferveur religieuse qui avait incité les Européens depuis plus de mille ans à marcher vers le Nord-Ouest de l'Espagne.
J'ai surtout compris qu'il était hors de question que l'Europe du XXIe siècle fasse de même »
et propose de « transformer les chemins du Matamore en chemins de réconciliation[1] ».
Compostelle n’est pas née de la piété populaire mais de circonstances politiques. Pour combattre l’envahisseur musulman et son hérésie, il fallait un chef indiscutable, ce fut l’apôtre Jacques. C’est à Clavijo qu’il apparut pour la première fois, l’épée en main, donnant la victoire aux chrétiens. Des récits du XIIe siècle racontent la découverte de son tombeau au IXe en un lieu devenu Compostelle. Le Matamore[2] a été étudié par Denise Péricard-Méa, docteur en histoire, spécialiste de saint Jacques. Il a été utilisé à des fins politiques, jusqu’à Franco qui en fit le Matarojos, (tueur de Rouges, les Républicains).
En 2010, André Weill, pèlerin et grand marcheur, rallie Compostelle à Cordoue (1008 km), sur les chemins de la Reconquista mais dans un esprit différent. Des pèlerins de Compostelle, de Jérusalem, de La Mecque, le rejoignent pour les dernières étapes. Cette marche permet de dépasser Compostelle et l’esprit de conquête. Cordoue garde l’image d’une période de coexistence harmonieuse entre les trois religions juive, chrétienne et musulmane. Période de convivienca, plus symbolique que réelle, certes, mais dont le message de paix, d’ouverture, de tolérance survit. Ce modèle pour notre temps demande d’oublier le Matamore et, pour chacune des religions, de résister à la tentation de l’épée. Ainsi est née l’association Compostelle Cordoue pour jeter un pont entre les cultures issues de ces trois religions et contribuer au « Vivre ensemble ».
Un livre collectif en présente les objectifs.
En 2012, vingt-sept membres de cette association, issus de différents pays et traditions religieuses, ont franchi Gibraltar avec pour slogan « Le Détroit ne nous sépare pas, il nous réunit ». Constitué à Cordoue, le groupe a pris la route à Ronda, marché jusqu'à Algesiras, accosté à Tanger et s’est recueilli devant le Mausolée de Moulay Abdessalam, saint vénéré par les Soufis marocains. Les marcheurs ont été accueillis par le Cheikh Khaled Bentounés, guide spirituel de la Tariqa Alawiya, et par des scouts musulmans. Les visiteurs européens ont pu mesurer combien la perception de l'islam dans leurs pays était cause de souffrance pour leurs hôtes.
Parmi les activités de l’association en 2013 :
du 3 au 6 juin, marche, de Saint-Maurice à Sierre en Valais, organisée dans le cadre des Rencontres Orient-Occident organisées à Sierre. Le thème était La commune origine de nos religions : l’Orient. De bonnes raisons de nous comprendre !
du 21 au 29 septembre, l'association organise une marche entre Rieti et Assise
A terme un Réseau Pèlerins du monde pourrait proposer à tous des routes de pèlerinage relevant de différentes spiritualités. Selon Michel Rouffet, son promoteur, « Ce projet peut paraître utopique mais les marcheurs savent qu'il faut oser le premier pas. Le deuxième sera moins dur ».
Louis Mollaret
[1] Compostelle, de la Reconquista à la réconciliation, éd. Saint-Augustin, Saint-Maurice, (Suisse), 2008.