Christine TAIEB est membre de Compostelle-Cordoue, membre de la CINPA (Coordination Interconvictionnelle du Grand paris) et présidente de l’AJMF Paris (Amitié Judéo-Musulmane de France)

Retour d’expérience de Christine TAIEB suite au Voyage à Calais en Juillet 2025 avec l’Association « Compostelle Cordoue » 

Chers Immigrés, vous êtes mes amis !

Être une militante associative en faveur d’un meilleur Vivre-Ensemble, c’est s’exposer à des problématiques humanistes fortes, mais aussi côtoyer d’autres citoyens engagés. Souvent occupés par nos actions, nous n’avons pas suffisamment le loisir d’apprécier nos liens d’amitié.

Aussi, quand mes compagnons de l’Association « Compostelle-Cordoue » - Jean-René BRUNETIERE son Président et Morice de LAMARZELLE sa complice chargée de la communication et mon amie - m’ont proposé de partager leur marche estivale 2025 à Calais sur le thème des Migrants, je n’ai pas hésité à répondre « présente » ! L’occasion était belle de conjuguer convivialité et meilleure compréhension de cette question complexe qui habite les esprits autant que l’espace médiatique.

Depuis 2012, leur slogan est « Marcher, Dialoguer, Comprendre ». C’est déjà tout un programme !

Restituer mon voyage et mettre en lumière les réflexions intimes qu’il m’inspire, est un défi.

Comment définir cette expérience ? « Certes …. Mais pas que ! »

Un « voyage sportif » ? Certes, j’y ai découvert l’activité longe-côte et parcouru des km sur les terres du Pas-de-Calais. Mais, l’objectif n’était pas un challenge sportif, laissant une juste place pour d’agréables balades pédestres, ponctuées des « bonjour » solidaires à la croisée d’autres promeneurs.

Un « voyage d’étude » ? Certes, les rencontres avec divers acteurs locaux (secouristes en mer du SNSM, responsables associatifs d‘aide aux migrants, maire d’une commune concernée, guides touristiques, etc.) … nous ont offert des informations éclairantes. L’excellent atelier animé par Jacques Augustin, sur le cadre légal de la question migratoire, illustré de cas réels qu’il instruit au sein de la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile), a permis une illustration à la fois juridique et humaniste.  Mais la convivialité, l’écoute et la bienveillance, tant au sein de notre groupe qu’autour de tous nos accueillants, ont guidé le fil conducteur de nos journées.

Un « voyage touristique » ? Certes, les marches sur le doux sable de la Côte d’Opale, dans la campagne du Calaisis, la Réserve Naturelle du Platier d’Oye, la découverte du système des « Watringues », ou la sortie en bacôve sur les rivières du marais Audomarois, m’ont fait découvrir un territoire varié et plein de charme. Mais le climat de légèreté lors de ces visites, n’a pas occulté la force du sujet qui sous-tendait toutes nos rencontres et discussions.

Un « voyage humanitaire » ? Certes, offrir notre générosité de cœur à des personnes en détresse, en plus d’un modeste repas, est un geste d’humanité. Mais je reste humble quant à la portée de cette contribution et soucieuse quant à l’avenir de tous ces migrants.

Un « voyage de découverte » ? Certes au début, je ne connaissais, ni la majeure partie de notre équipée, ni la région. J’en ai apprécié toutes leurs qualités, vérifiant l‘hospitalité des gens du nord et la générosité des militants qui s’investissent pour construire des ponts entre tous. Mais, je sais aussi qu’il me reste beaucoup à apprendre sur cette question, en Calaisis et bien ailleurs !

Des « vacances » ? Certes, notre séjour s’est déroulé en bord de mer sous un ciel bleu, ponctué de quelques pluies. Mais, il a été aussi fatiguant, car les heures de sommeil étaient limitées par notre passionnant programme. Nous avions tous, de bien petits yeux en partageant le petit déjeuner à 7h dans le réfectoire de notre Auberge de Jeunesse !

Je penche plutôt pour un « généreux voyage de découverte humanitaire » grâce à ses nombreux enseignements, la qualité de son organisation et les partages qui en ont découlé.

Avant notre départ, Jean-René BRUNETIERE interpellait notamment ainsi :

« Faut-il accepter que l’agressivité envers les immigrés ne fasse que croître dans le discours politique, dans les médias, dans les discriminations de la vie quotidienne ? »

En bouclant mon baluchon, j’étais animée de curiosité et d’un peu d‘appréhension pour vivre la journée prévue face à des migrants inconnus. Mes années de maraudes parisiennes m’auront-elles assez armée pour accueillir leurs regards et leurs attentes ? Je restais très consciente qu’à mon retour, je retrouverai le confort dodu de ma famille réunie et mon sweat home.

Qu’avais-je en tête avant de me rendre à Calais ? Ma vision de marcheuse septuagénaire qui arpente souvent des quartiers parisiens où sont regroupés des migrants errants, soit à peu près à toutes les Portes de Paris, entre celles de Pantin et St Ouen, et bien ailleurs au centre même de la « ville lumière » : des tentes éparses, des hommes en guenilles, parfois torse nu à peine recouverts d’une couverture, ou proférant des propos incompréhensibles. Les médias font état de leurs violences. Je ne les ai jamais subies. Une vision dégradée d’hommes du bout du monde, au teint aussi sombre que leurs parcours de vie.

J’avais aussi en moi l’appétit de comprendre leur trajectoire, dont tant de médias dressent une description nauséabonde, pour justifier la peur qu’ils susciteraient chez certains concitoyens. Je souhaitais être mieux prête à réagir face aux discours de haine et aux préjugés à leur encontre. Je serai donc à ma place à Calais, sans voyeurisme déplacé.

L’expérience le Jour « J »

L’expérience le Jour « J », à l’accueil du Centre du Secours Catholique de Calais était très attendue par tous. Suite au démantèlement du hangar de Sangatte en Novembre 2002 après 3 ans d’existence, puis de la « jungle » de Calais en Novembre 2016 (« jangal’ en paschto veut dire forêt), c’est le seul endroit à Calais qui permet aux personnes en transit de souffler un peu. Quatre jours par semaine, il ouvre ses portes aux personnes exilées pour un accueil de jour dans un lieu couvert et chauffé.

Dès l’arrivée sur place, nous sommes chaleureusement accueillis par « Rasta - الراستا ». C’est un grand gaillard au sourire aussi large que ses épaules. Son gabarit est aussi rassurant qu’impressionnant de générosité et de force. Il semble être le maître des lieux, coordonnant tous les bénévoles. Ses dreadlocks remontées en chignon le grandissent encore un peu et témoignent de son africanité. Il nous informe sur le fonctionnement du lieu d’accueil puis nous convie à un debriefing en fin de journée.

Moyennant une préparation logistique en amont, orchestrée par nos organisateurs en vue de disposer des ingrédients pour nourrir 600 personnes, suivie d’une matinée active où chacun des 30 bénévoles, a rempli sa tâche dévolue : nous sommes prêts à l’heure prévue.

Nous avons rangé à l’entrée du Centre les 600 sachets-papier remplis d’une salade variée, 1/3 de baguette, un morceau de mimolette, un fruit et des couverts.

A l’heure H, je suis comme toute l’équipe, à l’intérieur de la grande cour. Autour de l’espace extérieur s’articulent différents bâtiments qui vont permettre aux migrants de prendre une douche, laver leur linge, brancher leur IPhone (très important dans le process de demande d’asile), réparer des vêtements à la machine-à-coudre, obtenir des informations et conseils juridiques ou administratifs, apprendre des rudiments de français, obtenir un soutien émotionnel et social, voire participer à des jeux comme babyfoot ou atelier mosaïque.

13h. Les lourdes grilles s’ouvrent. Les migrants se présentent par petits groupes. Calmes, ils se tiennent bien droits, habillés proprement, leurs beaux visages sombres de peau mais le regard lumineux, sans agressivité ni surprise. Plutôt que récupérer le sac alimentaire offert dès leur entrée, beaucoup se dirigent d’abord vers les douches. Certains s’attachent, lorsqu’ils portent des baskets et non pas des sandales en plastique, à les nettoyer. Cette coquetterie m’émeut : Une petite bassine d’eau et sa balayette à vaisselle sont dédiées à ce lessivage méticuleux.

Au début, je suis hésitante, mais pas craintive : Ne pas exprimer une familiarité immédiate qu’ils ne souhaitent peut-être pas ? La barrière de la langue ? L’anglais reste la règle, et la jeune bénévole du centre qui leur dispense des informations importantes au micro, s’exprime tour-à-tour en anglais et en arabe. Mon arabe est encore trop balbutiant.

Au fil des heures, et jusqu’à la fermeture à 17h, l’ambiance se détend, même si certains restent isolés presque prostrés. Les uns entament une partie de foot avec les garçons de notre équipe. Les autres nous invitent à danser sur une musique africaine. Je ne me fais pas prier pour les rejoindre et partager cette connivence éphémère mais joyeuse. Le rythme est le marqueur d’un plaisir universel.

A cet instant, je repense aux moments de complicité tacite que je vis lors de mes très nombreux voyages en Afrique. Pas besoin du langage pour se comprendre, ni comprendre la joie du partage et des corps bien vivants, au son de tous les folklores malgré les blessures de chacun.

J’ai parlé longuement avec des Soudanais, Erythréens ou Ethiopiens, de jeunes hommes entre 18 et 35 ans, visiblement cultivés, respectueux et intéressés par nos échanges. Parmi les autres nationalités : Afghans, Kurdes, Pakistanais, Indiens, Syriens, ou d’Afrique subsaharienne. Ces migrants sont souvent des personnes ayant un rapport avec le Royaume-Uni s’ils sont originaires d'anciennes colonies ou de pays qui sont liés à la Grande-Bretagne. 

Les femmes et leurs enfants sont accueillis dans un bâtiment mitoyen, sans douches. Celles des hommes n’offrent pas encore d’eau chaude.

La presque totalité veut rejoindre l’Angleterre qui, outre une langue déjà familière pour beaucoup, peut offrir rapidement un travail, même qualifié de petit boulot, sans autorisation ni papiers. Calais n’est qu’à 60 km des côtes anglaises.

Actuellement, entre 600 à 1000 migrants sont répartis dans plusieurs petits camps alentours. Le calme surprenant dans toutes les villes traversées est dû au « nettoyage » par les forces de police, réalisé toutes les 48 heures. De plus, des kilomètres de barbelés sur 5 mètres de haut dotés de lames de rasoir, sont visibles dans toutes les zones liées au transport (Port de Calais, gares et accès aux voies ferrées). L’ensemble de cet impressionnant dispositif explique que la mer, avec tous ses dangers, reste l’accès privilégié des migrants pour accéder sur le sol britannique.

Quand ils ont atteint Calais, c’est souvent après 1 an à 1 an ½ d’errance depuis leur pays d’origine.

Accompagnée de trois autres amies, j’ai pu interviewer en ville la responsable d’une autre association indépendante. Elle collecte denrées alimentaires et vêtements, et les distribue chaque jour avec son équipe auprès de migrants. Une femme joviale qui ne compte ni ses heures ni son énergie au service des démunis, malgré les obstacles des autorités et sans aucune subvention. Un exemple de dévouement au service de ceux qui sont dans le besoin.

La mer était calme le jour de notre distribution, laissant prévoir un tout prochain départ en mer pour rejoindre l’Angleterre sur des embarcations de fortune. Le lendemain, la Voie du Nord titrait : « 184 personnes secourues dans le détroit du Pas-de-Calais, plus de 1000 sont arrivées au Royaume-Uni ».

Mon retour

Depuis mon retour, deux sentiments dominent mon esprit, qui perdurent au fil des jours : harmonie et dignité.

L’harmonie au sein de notre groupe, croyants de toutes religions, ou non croyants, amis de longue date ou plus récents, qui a permis des questionnements authentiques et des enrichissements mutuels. L’harmonie entre le corps et l’esprit grâce à nos déambulations en pleine nature et nos fréquents temps de dialogue. Sans doute aussi, une mise en harmonie de mes connaissances limitées et d’une réalité de terrain.

La dignité des migrants que j’ai rencontrés : première et forte impression qui me reste gravée. Je n’ai entendu ou compris, aucune plainte, récrimination ou lamentation. La rencontre a eu lieu au 6ème jour du séjour. J’étais déjà imprégnée d’informations sur le contexte local. La visite du Port de Calais et ses moyens de contrôle des migrants, les explications sur les passeurs, la visite de l’accès au site d’Eurotunnel, les commentaires de nos guides sur l’impact de la situation sur la vie locale, la politique des municipalités et les mesures policières, avaient déjà nourri mon discernement.

J’aurais apprécié vivre plusieurs « 6ème jour » auprès des migrants !

Quelle place pour la religion dans cette histoire ?

Pour un lecteur qui ne me connait pas : je suis juive, une française juive, juive de la communauté libérale et Présidente de l‘AJMF Paris (Amitié Judéo-Musulmane de France – Paris). Depuis 2008, notre association consacre son énergie à déployer l’amitié entre les communautés juive et musulmane à Paris, en vue d’une société plus apaisée entre tous, croyants ou non. Notre slogan est : « Association laïque dédiée à la rencontre et au dialogue » : c’est aussi tout un programme !

Imaginer notre engagement pour continuer de lutter contre les préjugés, les discriminations, les actes antisémites et antimusulmans, réaliser notre détermination pour ne rien lâcher dans les suites du 7 Octobre et le contexte dramatique de cet été 2025, c’est comprendre que la question de notre humanité collective habite chaque instant.

Ma judéité porte toutes mes actions militantes. A Calais, elle m’ a offert deux moments symboliques forts :

  • Le premier, en situation d’introduire la prière de Shabbat au premier jour du séjour étant un vendredi. J’avais lu le programme indiquant « Dîner de Shabbat » mais n’avais pas imaginé l’incarner. Avec la seule autre participante juive, nous avons préparé un kiddouch ( קידוש ) avec des ingrédients acquis en urgence à la supérette du coin : deux pains de mie pour simuler les halotts (חלות ) , deux bougies, du jus de raisin et des serviettes en papier en guise de kippa (כפה) pour tous ! Un surprenant moment singulier et noble de partage avec nos amis de toutes religions, pour découvrir ce rituel et tout son sens.
  • Le second, plus déterminant, s’est déroulé au Secours Catholique. Les migrants présents devaient être majoritairement musulmans. Mon ADN s’est construit en tendant la main à mes amis et frères musulmans en toutes circonstances. C’est après une heure auprès d’eux, que j’ai éprouvé l’envie de me manifester en tant que juive, comme une nécessité pour vivre pleinement et fièrement ce moment unique.

Je me suis rapprochée de Rasta en lui disant simplement : « Voilà, tu ne me connais pas : Je suis juive ». Il m’a répondu dans un grand éclat de rire. « Et alors ? » J’ai poursuivi en lui expliquant mes activités associatives. Il a rajouté « Tu es la bienvenue ! ». Il ne m’a pas pris dans ses bras, mais son regard m’a offert tout son cœur.

Il m’a raconté brièvement son chemin de vie qui l’a amené à soutenir les migrants. Nous étions unis par le même sentiment d’humanité partagée.

Je lui ai exprimé une idée qui occupe mon esprit de longue date : Compléter le dispositif d’accueil des migrants, par un atelier pédagogique. Celui-ci viserait à faciliter la compréhension de ces populations sur la question de l’antisémitisme, dont ils pourraient être porteurs par culture ou inconscience, et les préparer à des actes antimusulmans dans leurs futures sociétés d’accueil.

Je suis consciente que leur priorité est de rester vivant et leur temps de passage très éphémère pour la plupart. Mais, mes utopies et mon combat pour la fraternité, m’accompagnent ici aussi. Je me trompe sans doute de lieu et de contexte pour y mener une telle démarche. Le sujet reste pour autant criant, au regard de la déchirante actualité au Proche-Orient et les vagues de haine qu’elle déverse sur nos territoires.

Je crois que Rasta m’a comprise, en tout cas écoutée. Cet échange m’a soulagée, remplie d’espoir et illustré ce que l’amitié peut apporter de confiance en l’autre et en la vie.

Le mot de la fin

Je remercie toute l’équipe de Compostelle-Cordoue, en particulier à ceux et celles qui ont contribué à sa préparation et à l’animation des « Cercles de dialogue ».

Notre groupe peut désormais porter fièrement le badge conçu par Jean-René BRUNETIERE et sa mention : « Chers Immigrés, vous êtes mes amis ! »

Je ne prétends pas être devenue meilleure, mais plus informée du contexte pour être une modeste ambassadrice, mieux armée face aux propos emprunts de mépris à l’égard de ces individus venus d’ailleurs.

Le hasard de l’agenda fait qu’au point final de mon récit, je referme la dernière page de l’excellent livre « Réfugiés – Ce qu’on ne nous dit pas » de Najat Vallaud-Belkacem et Benjamin Michallet. Très bien documenté, il développe la question avec talent et des informations utiles, notamment sur les aspects socio-économiques ou géopolitiques que je ne maitrise pas.

J’ai vécu ce « généreux voyage de découverte humanitaire » comme une respiration, pour poursuivre mes engagements avec confiance et détermination, loin de l’avalanche de mots pour qualifier l’horreur des conflits en cours. C’est d’ailleurs, à dessein, que je ne m’attarde pas sur le vocabulaire utilisé dans mon sujet : migrant, exilé, réfugié, déplacé, expulsé, fugitif, immigré ou émigré. Peu importe, ces hommes et femmes vivent des situations tragiques qui appellent à notre humanité.

Notre ami Rasta nous a indiqué qu’il privilégie les termes « exilés » ou « réfugiés », car la plupart sont encore sur les routes et n’ont pas terminé leur exil. D’autres, sont également réfugiés de guerre (Yémen, Afghanistan, Soudan, Erythrée. Ce refuge n’est d’ailleurs pas à l’intérieur de notre territoire puisque la majorité tentent l’Angleterre.

Être une militante associative en faveur d’un meilleur Vivre-Ensemble, c’est finalement tendre vers le juste équilibre entre être, dire et agir, avec l’ambition de le partager.

Le dicton nous dit : « on avance en marchant ! ». Un autre pourrait affirmer que « consacrer de son temps, permet de rester ouvert aux autres, et mieux se comprendre soi-même ».

     Une toute dernière confidence : les migrants n’apprécient pas la mimolette !

Bien fraternellement à tous mes amis lecteurs.

Christine TAIEB

www.ajmfparis1.com

06 76 49 66 41

FB / Insta : AJMF Paris


L'article de Christine TAIEB est paru sur le blog de Nicolas Roche « Paroles d’actu »