Un processus d'échange par « résonnance » :
Ecouter la diversité plutôt que confronter les différences
Lorsque des personne se réunissent pour échanger à propos de leur vécu, dans le but de mieux se comprendre ou d'améliorer leur capacité de vivre ensemble, elles le font généralement sur le mode de l'échange d'opinions, de la confrontation des idées et des pratiques. Elles parviennent la plupart du temps, au mieux à une écoute polie ou au pire à un dialogue de sourds.
Le procédé peut avoir malgré tout une certaine efficacité, mais il est peu créatif et reste souvent impuissant pour affronter des situations dont la complexité ne cesse d’augmenter dans nos sociétés où la différence et la segmentation des statuts, des origines, des cultures, des âges, des compétences rendent la communication ardue et souvent conflictuelle. Par ailleurs ce type d'échange sert principalement à conforter l’opinion des personnes ou des groupes et à justifier des comportements antagonistes.
Ce procédé délibératif s’inscrit dans une modalité de type concurrentiel (mon opinion, ma pratique sont meilleures que celles de l'autre), qui est forcément réductrice et simplificatrice. Il ne contribue pas à développer un intérêt commun entre des partenaires ni à permettre l'organisation d'action commune.
Mais l'échange ou la délibération peut prendre d’autres chemins, notamment dans la perspective du développement d'un esprit d'ouverture à l'autre et d'écoute active des pratiques concrètes de la vie quotidienne. L'échange se focalise non pas sur des opinions ou des points de vue, mais sur des manières de faire ou de vivre dans telles ou telles situations. L'échange prend ici la forme d'une « conversation ». La « différence » peut alors devenir « diversité ». Plutôt que de « séparer », elle « relie »et peut même déboucher sur des « convergences » dans l'action
Ce que vous dites « résone » chez moi
Deux éléments clé sont à la base de ce type d'échange : la disposition en « cercles » et l'écoute par « résonance ».
Se mettre en cercles pour échanger, c'est accepter de se mettre en face les uns des autres tout en étant reliés les uns aux autres. C'est ne plus être protégé par une table ronde ou rectangulaire, mais oser se découvrir, corps entiers, sans premier ni deuxième rang. Et passer du cercle des « écoutants » à celui des « conversants », c'est exprimer l'envie de vraiment prendre part à l'échange.
Ecouter par résonance, c'est prendre part à la conversation en cours non pas pour s'opposer à une idée émise mais parce que le propos évoqué me concerne et suscite ma contribution. Le récit d’une expérience ou le partage d'une réflexion personnelle induit chez l’auditeur, qui se sent concerné personnellement par cette évocation, l’envie de s’y associer en y ajoutant son expérience, sa réflexion propre. La résonance fait donc moins appel à une opinion ou une connaissance acquise, ou à des compétence liées au statut de la personne, mais plutôt à des expériencesvécues et aux sentiments ou questionnements qui s’y rattachent. La résonance incite l’interlocuteur à entrer dans une « conversation » en cours, plutôt que le pousser à trouver sa place dans une joute argumentaire.
Une « conversation » source d'un mieux « vivre ensemble »
Dès lors la conversation se développe par la succession des résonances que les propos d’un locuteur enclenchent chez les autres participants de ce qui devient une « conversation à plusieurs ». L'échange développe ainsi la multitude des facettes d’une pratique quotidienne et contribue à en différencier les aspects plutôt qu’à les réduire à des modalités mises en concurrence. Il ne cherche pas à éviter à tout prix les oppositions, voir les blessures, nées de ces pratiques, mais il les oriente vers une différenciation reconnue dans la manière de les vivre et vers la reconnaissance des conséquences que cette différenciation peut engendrer dans la vie sociale d'une collectivité. Cette diversité d'un vécu collectif fait l'objet d'un compte-rendu par un « greffier » qui recense les thèmes abordés par les conversants et leur procure ainsi au terme de l'échange, un document qui pourra leur être utile pour améliorer leur compréhension mutuelle ou pour les mener à des actions communes.
L’organisation des « cercles de conversation »
- Les cercles de conversation réunissent des participants (entre 20 et 30 maximum) concernés par une pratique commune, même si les origines, les statuts, les âges, les compétences, sont différentes. L’énoncé de cette pratiques (ou thématique) commune peut être prédéterminé ou choisi sur le moment. Il est explicité oralement ou par écrit.
- Les participants, assis sur une chaise, forment le cercle des « écoutants ». Ceux qui décident, par résonance aux propos entendus, de prendre part à la conversation, se déplacent avec leur chaise pour rejoindre au centre le cercle des « conversants ».
- La conversation se déroule sous la forme de récits successifs puis entrecroisés des participants, animée par une personne expérimentée.
- Le cercle des conversants s’agrandit ainsi pour ne constituer éventuellement plus qu’un seul cercle où participants du premier cercle et du deuxième cercle ne sont plus différenciés. Les participants qui n’ont pas eu l’opportunité ni l’envie de se joindre à la conversation peuvent très bien demeurer « en dehors » de celle-ci jusqu’à sa clôture.
- La « conversation » est régie par des règles simples qui peuvent se formuler de la manière suivante :
ü Ecoute active et silencieuse
ü Décider d’entrer dans le cercle de conversation en résonance avec les propos d’un-e conversant-e (adhésion, complémentarité,altérité). Une fois entrée, la personne reste dans le cercle des « conversants » jusqu'à la fin
ü Questionner l’autre et se questionner soi-même
ü S’autoriser à penser librement avec l’autre / les autres
ü Tolérance et respect maximum, de soi et des autres
ü Propos non transmissibles en dehors des CC (confidentialité)
- La conversation est enclenchée par un animateur ayant déjà pratiqué cette approche. Il fixe une durée de conversation d’entente avec les participants (environ une heure). Il se place au centre du cercle et commence par évoquer librement un aspect de la pratique choisie. Son rôle consiste ensuite à accueillir le premier conversant, puis soutenir l'échange entre les participants, en rapport avec le thème choisi, dans l’esprit et le respect des règles précitées, et à clore la conversation au moment opportun. Il cherche à instaurer une ambiance la plus « naturelle » se rapprochant d’une conversation qui peut être vive mais toujours bienveillante (l’humour est un bon allié !). Voir le document « Attitude de l'animateur »)
- Une personne assure le rôle de greffier en notant, par des mots ou des phrases clé (éventuellement un schéma heuristique), le déroulement des séquences successives de la conversation. Il s’efforcera à la fin de la conversation de rassembler en quelques points fort ce qui lui aura paru être les thématiques centrales de la conversation (capacités d’analyse, de synthèse, à chaud!)
- Au terme de la durée impartie par l’animateur, les participants écoutent le compte-rendu du « greffier ». Le compte-rendu est, par la suite, envoyé aux participants.
- L'animateur peut éventuellement demander aux personnes restées à l'extérieur si elles souhaitent expliquer les raisons de leur choix.
Les cercles de réflexion
Ils peuvent suivre directement ou ultérieurement les « cercles de conversation » et permettre au groupe ou au collectif de formuler des pistes de réflexion ou d’action, sur la base du compte-rendu du « greffier ».
- L’animateur fixe une nouvelle durée (entre 30 et 40 min) d’un échange qui prend à ce moment la forme d’une réflexion collective (langage réflexif et argumentaire) cherchant à formuler les points forts d’une réflexion en cours ou les arguments d’une stratégie d’action en référence aux préoccupations du groupe ou du collectif. Les points forts de la réflexion (constats, questions, affirmations, arguments) sont notés sur un flap par l’animateur. Ce document (formulation collective non individualisée) peut faire l'objet d'une communication à des tiers (autres groupes, institutions, autorités politiques, etc)
Alain Simonin
Centre de compétence DEMOS*
(Haute Ecole en Travail Social de Genève)
février 2012
*Les principes de la différenciation interactive se réfèrent aux grands concepts et méthodes de la coopération, développés par des auteurs comme les psychologues Jean Piaget, Ali Haramein, Saül Fuks, le thérapeute social Charles Rojzman, l’ingénieur et directeur de la fondation Charles Léopold Meyer, Pierre Calame